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Léo Elso

Bat Out Of Hell The Musical: un bordel d'enfer

Bat Out Of Hell Je vous préviens tout de suite: cette critique n'aura pas d'étoiles pour classer cette nouvelle comédie musicale basée sur les albums cultes de Meat Loaf. J'ai beau essayer, ce spectacle ne peut être résumé sur une échelle de 1 à 5. Les concepts de "qualité" et de "divertissement" s'entrechoquent bien trop, et je ne suis même pas sur de ce que j'en pense vraiment. Tout ce que je peux faire c'est exposer avec le plus de clarté possible le débat intérieur qui faisant rage pendant le spectacle, et qui continuer de me rendre perplexe à ce jour.

Dès l'annonce de ce spectacle, je pensais être la seule personne à Londres qui l'attendait avec impatience. Une fois dans la salle, je m'aperçois que c'était faux: le public est présent, dans l'énorme et grandiose salle de l'Opéra National Anglais, le Coliseum. Un public qui sera enthousiaste tout au long de la représentation, standing ovation à la clé.

Bat Out Of Hell - The Musical donc, est adapté des trois albums éponymes écrits par Jim Steinman, l'américain derrière Le Bal des Vampires et les plus célèbres "power ballads" jamais écrites: Total Eclipse of the Heart, It's All Coming Back To Me ou même le tube interplanétaire Holding Out For A Hero.

Les albums sont adaptés sur scène par le metteur en scène d'opéra Jay Schieb, et prennent place dans l'imposant décor designé par Jon Bausor.

Niveau histoire, on est en terrain connu. Jim Steinman prend la piste classique de la comédie-musicale-rock-qui-se-passe-dans-un-futur-apocalyptique, à la Starmania, 2112 ou We Will Rock You.

Nous sommes en 2100, Manhattan est devenue un no man's land désolé dirigé par Falco, un riche despote barricadé dans sa tour, qui se bat contre une bande de jeunes mutants, à jamais bloqués à l'age de 18 ans, et essaie tant bien que mal de protéger sa fille Raven du monde extérieur et de sauver son mariage.

Le leader des mutants, Strat, tombe amoureux de Raven, et c'est réciproque. ensemble ils essaient de s'enfuir et d'échapper aux griffes de Falco. On y retrouve des thèmes chers à Steinman, tels le syndrome de Peter Pan - les mutants étant une référence directe aux Enfants perdus du Roman de Barrie - ou la passion ravageuse de l'amour et du sexe.

Niveau musique, il n'y a rien à dire - c'est absolument excellent. On y retrouve une énorme sélection de chansons, toutes jouées très fort par un orchestre de qualité. les voix sur scène sont parmi les meilleures que je n'ai jamais entendues sur le West End: Les chansons extrêmes, difficiles et techniques passent comme une lettre à la poste que ce soit pour les jeunes que pour les personnages plus agés. Sharon Sexton dans le rôle de Sloane, et Rob Fowler dans le rôle de Falco, forment le Power couple par excellence: leurs voix sont stratosphériques, et chacun prend un énorme plaisir à jouer son rôle, on retrouve chez eux une énergie Rock complètement éhontée, comme si tout sur scène était un jeu, et tout le monde est gagnant.

Les petits jeunes ne sont pas en reste: Christina Bennington dans le rôle de Raven oscille entre des airs de Mercredi Adams et Vampira, tout en explosant les chansons avec une facilité quasi-obscène. Entendre une si grosse voix sortir d'un si petit corps fait toujours son petit effet.

Lors de ma visite, c'était à la doublure Simon Purkiss de prendre les rênes du rôle principal de Strat. Il s'en sort avec brio, semblant constamment à la limite d'exploser, de sortir de son enveloppe terrestre, et bataillant véritablement à travers les épiques mélodies de Steinman. Un contraste bienvenu face à ses compagnons de scène qui semblent attaquer les chansons les yeux fermés: ici Purkiss se bat, engage chaque muscle de son corps pour arracher les notes qui sortent de ses poumons. Un combat dont il sort épuisé, mais vainqueur. Le répertoire de ces trois albums (plus deux nouvelles chansons) est parsemé de tubes et de mélodies imparables, ainsi que de véritables épiques grandiloquentes qui sont la spécialité de Steinman: Impossible de ne pas se sentir dépassé, emporté tout entier devant les 9 minutes de voyage que procurent Bat Out Of Hell ou I Would Do Anything For Love (But I Won't Do That). Malgré les tubes, la musique de Steinman ne possède pas la même variété que la musique d'Abba ou Queen, et au bout de la dixième Power Ballad de la soirée on commence par avoir fait le tour des roulement de batteries et de se balancer de gauche à droite; c'est à la mise en scène donc, de nous divertir lors de ces moments plus lents.

La mise en scène, tiens parlons-en. Elle prends place dans un énorme décor post apocalyptique, puisant allègrement sur l'expressionnisme Allemand à travers de perspectives forcées, basé entre la tour de Falco à droite et un tunnel urbain à gauche. Le sol entier se révèle être un dance floor disco géant, aux multiples carreaux colorés, avec plus ou moins de succès scénique selon son utilisation.

Entre les chansons, l'action est filmée en direct sur scène et projetée sur des énormes écrans qui dominent l'espace. Un technique régulièrement utilisée par Jay Schieb qui l'a baptisée "Live Cinema". Le résultat dans Bat Out Of Hell - The Musical est plutôt "Live Soap Opéra": les dialogues et les plans sont tout droit sortis d'un épisode des Feux de l'Amour, jusqu'au filtre légèrement flouté pour l'effet romantique. Cela permet toutefois de créer de l'intimité dans ce gargantuesque décor, et les acteurs comme les cameramen effectuent une chorégraphie assez maligne pour composer des plans précis qui offrent un point de vue totalement différent de celui qu'on peut avoir depuis nos places. Un effet qui se rélève plutôt bien utilisé.

Pour le reste, c'est juste un grand foutoir d'effets, tous plus barrés les uns que les autres, de plots-twists complètement invraisemblables, des personnages qui changent d'avis plus rapidement que des girouettes cocaïnomanes, et de répliques qui feraient rougir de honte Stephanie Meyer, l'auteur de Twighlight.

Lors de ma visite, j'ai eu la chance de parler avec quelqu'un qui a fait l'université avec Jim Steinman. Quand je lui ai demandé "était-il déjà toujours habillé en cuir, avec lunettes de soleil et tout?" il m'a interrompu: "-Est-ce qu'il essayait désespérément d'être cool? oui, ça c'était dès le début."

Et c'est là où réside le cœur de ce spectacle: comme Steinman lui même, il exploite une idée de ce qui est cool et de ce qui est rock, mais rate complètement son objectif presque systématiquement, tombant en plein dans le kitsch. C'est un spectacle qui semble prendre place dans un univers imaginé à la fois par un gamin de douze ans à qui on a donné une guitare en carton et par un camionneur agé qui n'a plus toute sa tête.

Tout au long, il semble crier "Regardez nous! comme on est ROCK! We Will Rock You avait une moto sur scène? ON EN A TROIS! et vous avez vu les télés sur les cotés? On est des gros rebelles! Vous aimez ce personnage habillé? Vous l'adorerez EN SLIP LAMÉ ! ! ! Disponible en version Arturo-Brachetti-Changement-De-Costume-Ultra-rapide! On est tellement ROCK que tout le monde est Bi!" Le tout avec une sincérité et un sérieux qui ne peut que rendre perplexe. On se retrouve à rire d'effets qui n'étaient pas forcément prévus pour être drôle, et plusieurs fois pendant le spectacle j'étais pris d'énormes crises de sourires, levant les bras au ciel et me demandant "mais QU'EST-CE qui est en train de se passer devant mes yeux?"

Et c'est ÇA qui fait de Bat Out Of Hell - The Musical une des expériences les plus fun et débridée du West End- la question n'est pas "est-ce que c'est bien?" la question c'est "est-ce qu'on s'amuse?" Et ça c'est indéniable, de bout en bout on s'amuse comme des petits fous. Certaines blagues laissent entendre que les créatifs savait à quel point ils poussaient le bouchon. Une blague qui suit un des plus impressionnants effets scéniques du spectacle a mis le public par terre grâce à son absurdité et son soudain bris de quatrième mur. Les discours kitschissimes qui parcourent les albums d'origine sont intégrés avec un second degré bienvenu - et c'est dommage de ne s'être pas tenu à ce genre d'ambiance ou le public est complice de l'absurdité scénographie qui se déroule sous ses yeux.

Cette inconsistance de ton et une chorégraphie qui va à l'encontre de la musique, handicape les acteurs et n'est que très peu de fois intéressante empêchent Bat Out Of Hell -The Musical d'être une grande réussite, aussi Kitsch soit-elle. C'est malgré tout un sacré voyage à travers des chansons toutes plus cultes les unes que les autres, chantées par les voix les plus puissantes du West End. C'est une de ces comédies musicales qui valent le prix du ticket, rien que pour l'expérience. Les fans de Meat Loaf seront à coup sûr ravis et les autres auront de quoi parler pendant au moins une semaine.

Bat Out Of Hell à Londres