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Léo Elso

LOVE'S LABOUR'S LOST au Theatre Royal Haymarket: c'est du propre!

Love's Labour's Lost - RSC La Royal Shakespeare Company ne laisse rien au hasard et nous démontre qu'il n'est pas nécessaire de prendre des risques pour donner de la vie à un texte, aussi obscur soit-il.

Quand il est question du Barde, on peut faire confiance aux spécialistes. Au travers des flots de pièces de Shakespeare qui se jouent chaque année à Londres, deux lames de fond se démarquent: Le Globe theatre et la Royal Shakespeare Company. Basée à Stratford-sur-Avon, lieu de naissance du dramaturge le plus connu de la planète, la RSC est la compagnie de référence concernant ses œuvres. Chaque année, ils s'installent dans un des théâtres du West End pour présenter un succès de la saison passée - en l'occurrence cette année au Haymarket avec deux pièces, Love's Labour's Lost (Peines d'amour perdues) et Much Ado About Nothing (Beaucoup de bruit pour rien).

Christopher Luscombe et son équipe ont décidé de placer les pièces l'une après l'autre, de part et d'autre de la première guerre mondiale. Love's Labour's Lost se déroule ici en 1914, à l'aube du conflit.

Elle raconte l'histoire du roi de Navarre, Ferdinand, et de ses trois compagnons et élèves Biron, Longueville et Du Maine, qui décident de signer un pacte: Pour les trois prochaines années, ils ne feront qu'étudier, menant une vie pieuse, sans excès, et surtout sans compagnie féminine. Ce plan vertueux tombe complètement à l'eau quand la Princesse de France et ses trois dames de compagnie leur rendent visite pour discuter de l'avenir de l'Aquitaine. Nos quatre bonshommes tombent éperdument amoureux, et décident ensemble d'établir un plan pour séduire la Princesse et son entourage. En parallèle, on rencontre toute une galerie de personnages, qui parent ce récit d'intrigues amoureuses ou comiques, et tout ce beau monde se retrouve à la fin de la pièce.

Love's Labour's Lost est considérée comme une pièce plutôt obscure et difficile à monter: elle est remplie de références et pastiches qui remontent tous au XVIIe, laissant le public moderne généralement sur sa faim. Ici, pourtant, grâce à une exquise attention au détail et un mise en scène chorégraphiée au millimètre près, ça passe comme une lettre à la poste.

La pièce nous est présentée dans les coquets décors de Simon Higlett: l'action est placée dans un véritable castelet, dont le centre est modulable à souhait, et laisse place tour à tour à un salon luxueux, les grilles du palais ou bien une paisible campagne. Ils donnent l'impression d'un automate d'un autre temps, d'où l'on observe les figurines des personnages, portant de somptueux costumes, évoluer à un rythme précis, implacable.

Car ici, chaque mouvement, hochement de tête, soupirs, tentatives paniquées de se cacher et parades d'amour sont d'une précision désarmante. Rien n'est laissé au hasard et la mise en scène s'apparente plus à un ballet qu'une pièce conventionnelle ou les acteurs peuvent évoluer comme bon leur semble. Cela confère à la pièce une rigidité plutôt contraignante, mais permets à chaque mot, chaque rebondissement de l'intrigue d'être extrêmement clair, même à travers le vieil anglais. Cela permet aussi d'avoir des moments de pantomime très drôle, et les petites touches comiques ajoutées ici et là à travers un geste, un costume ou un accessoire sont bienvenues.

Ici c'est Edward Bennet, dans le rôle de Biron qui se démarque. Malgré les contraintes du langage et de la mise en scène il réussit à exprimer une confiance en soi bon enfant, candide et fantaisiste, tels les chansonniers des années 30. Il se dégage quelque chose d'extrêmement charmant de sa part, à mi-chemin entre Bourvil, Hugh Grant et Groucho Marx.

On peut aussi remarquer le numéro de clown total que nous présente Nick Haverson, se tortillant, grimaçant, attaqué de spasmes - un élément perturbateur et populaire au milieu de la propreté et les manières de la noblesse - dans le rôle de Cabochard.

Les rôle féminins, ennuyeuse tendance chez Shakespeare, ne sont pas bien servis, mais au moins ici font preuve d'intelligence et d'esprit. Lisa Dillon dans le rôle de Rosaline se révèle être une excellente partenaire de jeu, de bons mots et de romance face au Biron de Bennett.

Le tout est accompagné de la musique de Nigel Hess, jouée en direct par un orchestre - un formidable pastiche de chansons du début du siècle qui accompagne l'action avec brio. Et quand tout les personnages se rejoignent en fin de pièce pour chanter, l'émotion dans la salle est palpable.

Malgré tout ces bons points, la pièce met du temps à prendre son rythme et certaines conventions qui découlent de la mise en scène ultra précise semblent restrictives, parfois obsolètes. On passe à la vitesse supérieure juste avant l'entracte, un peu trop tard pour convaincre. Et bien que le niveau des acteurs soit très élevé, peu sortent véritablement du lot.

Alors qu'à Stratford, à la maison mère, la RSC présente La Tempête avec hologrammes, motion capture en direct et autres effets technologiques développés en partenariat avec Intel, ici le contraste est clair: rien ne dépasse, tout est propre, rien de dangereux, et je le crains, rien d'original.

Ce qui n'empêche pas de passer une plaisante soirée entre les habiles mains de la Royal Shakespeare Company.

Love's Labour's Lost à Londres